CHARLOTTE DIPANDA, INCENDIÉE PAR LE RÉGIME DU PRESIDENT BIYA

On la reniera sept fois, elle Charlotte Dipanda, pour avoir osé être citoyenne, tout simplement. Citoyenne, autrement dit : s’intéresser aux affaires de la Cité, notre pays ; y donner, à juste titre, son avis. S’intéresser à la tête du Poisson, celui qu’incarnent Le et les gouvernants et non pas seulement à ceux de Youpwé où l’on cantonne nos artistes : des épicuriens, des jouisseurs impénitents, des griots de cabarets, des machines à gombo et farotage, sans cervelle, bons à animer la galerie, les rues de la joie, d’étals de poissons, sortis tout frais de l’eau et braisés pour « manger la vie » : Coucouuo oh je suis là, né wa eeeee !

On reniera son si grand talent, hier prisé, sur lequel on se pâmait, au point d’avoir fait, dans l’euphorie d’un temps de fascination, de cette voix suave, de velours et exquise, un chevalier de l’Ordre et de la Valeur, au même titre, excusez du peu que Manu Dibango, André-Marie Tala, Toto Guillaume… Hier prisé au point d’en avoir fait la voix de l’hymne de la CAN féminine au Cameroun. Hier prisé, au point d’en avoir fait l’égérie, la marraine et la figure de tant d’événements aussi prestigieux que mondains. C’était avant, l’interview…

On la reniera pour avoir osé s’interroger sur les vaches sacrées de la conservation du pouvoir, de l’éternité aux affaires, aux mandats de ceux qui rentrés au Cameroun en 1962, ont pris les rênes en 1982 et s’apprêtent à aller au delà des 40 ans de pouvoir en 2022. Pour avoir osé parler d’un pilier du renouvellement, de l’innovation et de la dynamique des sociétés : l’alternance, le changement, le mouvement, la respiration…

Pour ses concerts, spectacles, distinctions et émissions, elle a vu des pays, dans ces voyages au sens d’Ulysse, d’Ibn Battuta et d’Abubakari II qui forment la jeunesse : le Nigeria et ses présidents qui changent ; le Sénégal et sa culture démocratique, l’un des modèles du genre en Afrique avec des défaites à la loyale de présidents établis ; l’Afrique du Sud et sa vie parlementaire. Et bien d’autres.

Cela laisse des traces quand on foule le sol de Douala, de son terroir Bakaka dans le Moungo ou les abords d’Ebolowa. Quand on écoute le discours et les remontrances coloniales d’un préfet à un chef de village pour juste avoir dit ” merci mais le seau maçon, ça ne m’intéresse pas (…) Nous voulons l’eau, l’infrastructure… “. Quand on écoute les mêmes roulements de tam-tam de Charles Ndongo à la gloire du Sauveur Biya. Quand on a à la tête du Sénat, de l’Assemblée Nationale et au sein du Gouvernement, les mêmes têtes que l’on retrouvait dans les annuaires officiels, pages jaunies des années 60 et 70.

Alors, une femme, artiste née dans le ventre des années 80, n’a t-elle pour destin que d’être jeune et jolie ? Que de promener les effluves de sa voix miel aux quatre vents ? Que d’animer les bals et agapes du Gotha ? A l’évidence, si vous réveillez Marley, Fela, Lapiro, Makeba, Oryema.. de leur sommeil éternel, ils vous répondront non ! Ils vous répondront comme Pompidou, Tiken Jah, Nas, Sengard, Awadi, Blondy…que l’artiste aussi, dérange, interroge, décale le regard. Oui, comme dirait l’autre : ” L’art doit discuter, doit contester, doit protester “.

Alors, plus personne n’osera emprunter ce bon mot malheureux : la politique aux politiciens…Car, la politique n’est pas un métier réservé. La politique n’est pas le droit préempté, le monopole ou le privilège exclusif des élus et gouvernants. Il n’est pas le comptoir d’une élite. La politique, c’est tout ce qui concerne la gestion de la Cité, de nos villes et campagnes. La politique, c’est la régulation de nos tensions sociales, l’instance de redistribution et le creuset de notre destin commun.

Alors, essayez de la retourner dans une vidéo de mise au point prochaine comme ce chef de Minkan, rien n’y fera : la substance de son propos sera connue de tous. Alors, farfouillez, pour la compromettre, dans les tiroirs de la vie privée de Charlotte Dipanda, cherchez y une ” proximité sociologique ” avec les ” ennemis ” du moment. Faites-le, à la détestable façon classique. Vous y trouverez, fort heureusement, sous le venin apparent, l’antidote à nos peurs, mauvaise foi, avanies et lâchetés : une simple quête, largement partagée, mais tue par le glaive de la répression et les affres du syndrome de Stockholm, d’un changement en profondeur dans notre pays. En commençant par la tête du poisson…

A. Mounde Njimbam

credit: coupsfrancs.com

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